Assemblée générale extraordinaire

du 9 mars 2021


Rapport moral

présenté par Francis Combes

1 - la situation des éditeurs indépendants
La période que nous avons vécue depuis notre dernière Assemblée générale a bien sûr
été dominée par les effets de la crise sanitaire.
Celle-ci a eu un lourd impact sur la vie de notre association. En nous contraignant à
annuler coup sur coup trois salons (deux manifestations de printemps et le salon de
l’Autre livre à l’automne) elle a créé une situation difficile pour l’association qui a
conduit le conseil d’administration et le bureau à pendre des dispositions de
sauvegarde que nous vous présentons aujourd’hui.
Au-delà de la vie de l’association, c’est bien sûr la vie de toutes nos maisons d’édition qui
a été affectée.
Pour l’ensemble du secteur de l’édition, d’après les données fournies par Electre, on
constate un recul de la production. Le nombre de nouveaux titres produits en 2020 est
tombé à 60 541 soit une baisse de 11, 2% par rapport à l’année précédente.
Rappelons-nous qu’il y a dix ans, l’édition française publiait plus de 70 000 nouveaux
titres par an, tous domaines confondus.
Certains observateurs, comme Livre hebdo, avancent l’idée que cette baisse, imposée par
les circonstances, s’inscrit dans un effort entrepris depuis plusieurs années pour
« juguler la surproduction ».
C’est une appréciation qui mériterait discussion. Si surproduction il y avait, celle-ci est
évidemment relative à la dimension du marché et au nombre de lecteurs qui n’a pas
progressé dans les mêmes proportions. Nous savons que la tendance à l’augmentation
du nombre de titres publiés, qui a été le fait marquant pendant des années, s’était
accompagnée d’une baisse des tirages moyens. Elle avait été rendue possible par les plus
grandes facilités techniques d’impression à petit tirage, mais elle était aussi une façon
pour les éditeurs de compenser la baisse des ventes et de réagir à la concurrence, tout
en l’aggravant.
La baisse actuelle de la production est sans doute moins l’effet d’une décision
« vertueuse » qu’une « cure d’amaigrissement obligée », et peut-être l’amorce d’une
régression.
Il ne faut en tout cas pas imaginer qu’elle va améliorer d’un iota la situation du marché
du livre et permettre des conditions moins inégalitaires dans l’accès de nos livres au
public.
D’ailleurs, l’autre fait marquant de l’année écoulée et qui nous concerne au premier chef,
c’est la baisse du nombre des éditeurs actifs.
Ceux-ci seraient 4 226 à fin 2020, contre 4 546 un an plus tôt, soit une baisse de 7%.

Alors que le nombre d’éditeurs en France était stable depuis sept ans.
Plus que des dépôts de bilan, il semble qu’il s’agisse le plus souvent de « mise en
sommeil » avec arrêt de la production ; ce qui concernerait au moins 300 petits éditeurs
indépendants.
A la clef, on peut redouter une reprise du phénomène de concentration et une réduction
de ce que nous avions appelé la « biblio-diversité ».
Tout ceci est évidemment lié à l’arrêt pendant le premier confinement de l’activité des
libraires et à leur activité réduite pendant le second. Ainsi qu’à la suppression de la
plupart des salons.
Les bonnes ventes en librairie, au début de l’été après le confinement et surtout en
décembre, n’empêchent que sur l’année, le chiffre d’affaires en librairie ait baissé
d’environ 5%.
Et beaucoup d’éditeurs ont vu leur chiffre d’affaires reculer de 20%.
Nous savons d’ailleurs que la reprise en librairie s’est souvent faite au prix de nombreux
retours, ce qui touche particulièrement ceux d’entre nous qui passent par un
distributeur-diffuseur.
2 – Notre action
Empêchés de tenir notre salon, nous ne sommes pas restés pour autant « les deux pieds
dans le même sabot ».
Nous avons notamment rendu public un Plan d’urgence pour le livre que nous avons
communiqué aux ministères concernés.
L’idée qui anime notre plan d’urgence est à l’opposé de la conception qui a conduit l’État
a décréter les librairies « commerces non essentiels ».
Même s’il est revenu là-dessus — ce qui est un succès de la mobilisation de tous les
acteurs de la filière livre — c’est ce qui a dominé l’année.
Cela s’inscrit d’ailleurs dans une conception plus générale qui marginalise et met à
l’arrêt tout la vie culturelle, jugée non essentielle dans son ensemble. Alors qu’il est
confirmé (notamment à la suite d’une étude allemande récente) que les lieux culturels
sont ceux où les risques de contamination sont les plus faibles.
Dans notre plan d’urgence nous avons énoncé les grandes lignes d’une relance qui
mettrait le livre au centre des politiques culturelles. De notre point de vue, il ne s’agit
pas seulement de la défense de nos maisons d’édition, mais d’une question de
démocratie. Une vraie démocratie suppose un peuple cultivé, capable de faire preuve
d’esprit critique ; et pas un peuple poussé à l’infantilisation, comme y conduit une
tendance lourde aujourd’hui.
Il semble bien que l’idée dominante de la culture, y compris parmi de nombreux
responsables, est que celle-ci relève surtout de l’économie du divertissement.
(A titre d’exemple, la nouvelle chaîne de télé, Culture Box, en fait de culture, semble bien
ne s’intéresser qu’au spectacle dit vivant).
Pour mémoire, dans notre plan, nous demandions l’intervention des pouvoirs publics
sur trois sujets d’intérêt immédiat :
- la mise en place d’un tarif postal spécifique, tarif postal qui ne concernerait pas tel ou
tel acteur de la filière mais l’objet livre en tant que tel

- une intervention auprès des grandes enseignes pour éviter les retours massifs
- une intervention auprès des banques pour favoriser l’accès de nos maisons aux
diverses sources de financement.
Au-delà, nous proposions d’ouvrir trois chantiers :
- celui de l’aide publique à l’édition
- celui de la distribution du livre
- celui du pluralisme dans les médias
Des mesures ont bien sûr été adoptées par le gouvernement et certains d’entre nous ont
pu en bénéficier.
La plus importante est le chômage partiel. Évidemment, cela n’a concerné que ceux
d’entre nous qui ont des salariés.
Les prêts garantis, par contre, d’après ce que nous avons pu voir, ont bénéficié à très peu
d’éditeurs indépendants, lesquels ont été dissuadés par la crainte de ne pas pouvoir
rembourser et la réaction des banquiers.
Quant à notre revendication concernant les tarifs postaux, nous pouvons dire qu’elle a
grandi et est devenue générale dans la profession.
Mais la réponse de l’État n’est pas du tout à la hauteur.
La mesure de prise en charge des frais d’envois des libraires, outre le fait qu’elle n’a
concerné que les libraires, décidée en fin de confinement, n’a pas été suivie d’effets. On
est là dans le registre habituel des effets d’annonce…
Pour notre part, nous avions commencé à discuter, assez positivement, avec le cabinet
de l’ancien ministre de la culture Franck Riester, qui semblait prendre le dossier au
sérieux. Par contre, nous devons dire que le contact que nous avons eu avec l’équipe de
la nouvelle ministre, Roselyne Bachelot, s’est avéré tout à fait décevant et même
honteux. Nous avons eu affaire à des interlocutrices mandatées pour nous parler qui
semblaient tout ignorer non seulement du sujet mais même de l’existence de notre
association qui est pourtant la plus ancienne et – de loin – la plus représentative des
éditeurs indépendants. Nous avons même eu le sentiment d’une volonté de nous
minorer.
Il est vrai que malgré nos souhaits nous n’avons pas encore réussi à fédérer les autres
associations pour mener une action commune sur ce sujet. Ce, malgré nos appels répétés
et malgré le fait que plusieurs se soient déclarés favorables à cette coopération…
Enfin, nous venons de recevoir une lettre du ministère de l’économie suite à nos
interventions en direction de Bruno Le Maire.
La réponse de son collaborateur nous explique que pour l’essentiel ce qu’ils ont fait est
bien et devrait répondre à notre attente. (Tarif Fréquenceo pour les services de presse,
tarif-lettre en dessous de 3 cm, possibilité de se regrouper pour négocier avec la Poste…
ce qui est en fait une prime aux gros… ) mais il laisse ouverte une petite porte à la
réflexion pour « rétablir un cadre concurrentiel équitable au sein de la chaîne du livre ».
Façon discrète de dire la chose…


Comme l’a fait remarquer une amie éditrice au cours de notre discussion, par le
biais d’inégalités flagrantes dans les coûts d’expédition du livre (qui sont liés à la
capacité ou non de négociation commerciale avec La Poste), c’est la loi sur le prix
unique du livre qui est remise en cause !