Par Nicolas Dutent

Publié le 14/05/2020

 

Francis Combes, poète, président de l'association l'Autre Livre et éditeur qui a fait grandir la maison d'édition française Le Temps des Cerises, revient pour Marianne sur une bataille majeure mais encore trop méconnue dans le secteur du livre : la revendication collective, par les éditeurs indépendants, d'une tarification postale plus juste.

Marianne : Vous venez d'être réélu président de l'association l'Autre Livre qui regroupe quelques 200 éditeurs indépendants. Comment pouvez-vous et prévoyez-vous d'aider ou d'accompagner l'édition indépendante dans cette période contraignante ?

Francis Combes : On peut craindre que la situation actuelle pousse des éditeurs, à mettre la clef sous la porte. C’est une loi du capitalisme malheureusement toujours vérifiée que les crises sont l’occasion d’aggraver la concentration. L’édition française est déjà très concentrée puisque deux groupes multinationaux (liés à la grande industrie et à la finance) contrôlent plus de 50% du chiffre d’affaires de la profession. Mais l’une des particularités de notre pays c’est, qu’en amont d’un fort réseau de libraires (plus important que dans la plupart des pays d’Europe), existe encore un vrai vivier d’éditeurs. 2.000 éditeurs dont la majorité sont des indépendants, petits et moyens. L’édition indépendante (qui n’est quasiment jamais considérée en tant que telle dans les politiques publiques) joue un rôle important et précieux. La plupart de ceux qui se lancent dans l’aventure de créer une maison le font parce qu’ils sont passionnés ; ils le font donc avec passion, malgré tous les obstacles, et souvent avec beaucoup de talent.

Dans certains domaines de la création, leur rôle est essentiel. C’est évident en poésie, mais c’est vrai aussi pour d’autres genres littéraires, réputés peu commerciaux, dans le domaine des traductions, dans l’édition régionale, en histoire sociale, en philosophie, par exemple… Notre association, qui existe depuis maintenant dix-huit ans, s’est fixée dès l’origine l’objectif non seulement de défendre les éditeurs indépendants, mais aussi la place du livre dans la société et le pluralisme culturel. Quand le président de la République a annoncé son plan pour la culture, à côté de mesures évidemment nécessaires comme celles qui concernent les intermittents, nous avons noté l’absence voyante du livre. Alors que le même président, au tout début du confinement, avait invité les Français à en profiter pour lire ! Nous attendons donc, avec un peu d’impatience, le plan pour la filière livre dont on nous a dit qu’il était en préparation.

L'une des batailles méconnues dans le secteur du livre dont les enjeux sont pourtant majeurs, portée activement par les éditeurs des Hauts de France et fédérant un peu partout sur le territoire, concerne la tarification postale. Pouvez-vous nous expliquer la nature et les raisons de ce combat ? En quoi la réduction du coût d'expédition pour les éditeurs est-elle une mesure juste et justifiée ?

C’est une revendication que nous défendons depuis longtemps. Elle était déjà au centre des États généraux des éditeurs indépendants que nous avions organisés il y a douze ans. Nous avions d’ailleurs initiée une pétition qui avait réuni quelques 4.000 signatures. Aujourd’hui le mouvement reprend de plus belle et de nombreuses associations régionales en effet la portent. Nous en sommes évidemment partie prenante.

Nous demandons simplement que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel, à l’instar de ce qui avait été décidé pour soutenir la presse après la Libération. Imaginez qu’aujourd’hui, quand un éditeur envoie, à un libraire ou à qui que ce soit, un livre dont le prix public est par exemple de 20 euros, si celui-ci à un dos de plus de 3 cm, il devra payer plus de six euros ! En comptant les 2 euros de droits d’auteur, les 6 ou 8 euros pour le libraire, les 3 à 5 euros pour l’imprimeur… vous voyez ce qui reste !

Alors que dans le même temps les grandes plateformes de vente directe bénéficient de frais de port de quelques centimes ! En avançant cette idée, nous ne défendons pas un intérêt « de boutique ». Tous les acteurs de la chaîne du livre, de l’auteur au lecteur, en passant par le libraire ont à y gagner. Et qu’on ne me dise pas que ce serait d’un coût terrible pour la Poste. Elle pourrait au contraire bénéficier d’une plus grande circulation des livres. D’ailleurs, dans d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Grèce, envoyer un livre par la Poste coûte beaucoup moins cher, souvent aux alentours de 2 euros !

Vous avez récemment plaidé cette cause auprès du gouvernement et du ministère de la culture. Votre revendication collective a-t-elle été entendue ? Qui sont vos amis et vos ennemis ici ? Quels sont les obstacles et les opportunités rencontrés au cours de cette mobilisation ?

Nous avons eu des contacts avec des membres des équipes ministérielles qui nous ont dit que le sujet était à l’étude et que la proposition paraissait sérieuse…

Chez les éditeurs le consensus est en train de se faire, comme le confirme la prise de position d’Antoine Gallimard.

Reste à savoir si les lobbies et les financiers n’auront pas le dernier mot. En tout cas, nous ne comptons pas en rester là. Par-delà cette revendication, nous pensons qu’il faut remettre le livre au cœur de la politique culturelle. Ce qui est en jeu, c’est la maîtrise partagée de la langue, les conditions d’exercice de la pensée critique, du pluralisme et de la liberté, mais aussi de la capacité à imaginer vraiment le « monde d’après », selon la formule en vogue aujourd’hui.

 

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